D' abord, on commence par faire de grands trous à droite et à gauche. On attaque ensuite la montagne même à l' aide des flambeaux ou des lampes. Car il ne faut plus parler de jour : la nuit y dure autant que le travail, et se prolonge l' espace de plusieurs mois. à peine a-t-on percé un peu avant, qu' il se forme dans la terre des crevasses qui l' éboulent, et qui accablent quelquefois les pauvres mineurs : ensorte, dit Pline, qu' il y a aujourd' hui beaucoup moins d' audace et de témérité à aller chercher les perles en orient au fond des eaux, qu' à fouiller l' or dans le sein de la terre, devenue par notre avarice plus dangereuse que la mer même.
Il faut donc dans ces mines-ci, comme dans les premiéres dont j' ai parlé, ménager d' espace en espace de bonnes voutes, qui soutiennent la montagne percée. Car on y trouve aussi de grandes masses de pierre, qu' il faut rompre à force de feu et de vinaigre. Mais comme la fumée et les vapeurs du feu étouferoient bientôt les ouvriers, on est obligé le plus souvent, et surtout lorsqu' on est un peu avancé, de rompre à coups de pics et de pieux ces masses énormes, et d' en arracher peu-à-peu de gros quartiers, et de se les donner ensuite de main en main et d' épaule en épaule le long du boiau, jusqu' à ce qu' on en soit délivré. On passe à ce travail les jours et les nuits. Il n' y a que les derniers des ouvriers qui voient la lumiére du jour : tous les autres travaillent à la lueur des lampes. Si le roc se trouve trop long ou trop épais, ils prennent à côté, et conduisent leur boiau en ligne courbe.
Quand l' ouvrage est achevé, et que ces conduits souterrains sont poussés assez loin, ils coupent par le bas les soutiens de ces voutes situés d' espace en espace. C' est le signal ordinaire de la ruine qui va s' en suivre, et dont s' aperçoit le premier celui qui fait sentinelle au-dessus de la montagne par l' affaissement de la voute qui commence à crouler : et celui-ci aussitôt, de la voix ou par le bruit de l' airain qu' il frape, avertit les travailleurs de se mettre en sureté, et court le premier pour s' y mettre lui-même. La montagne, sappée ainsi de tous côtés, tombe sur elle-même, et se brise avec un fracas épouvantable. Les ouvriers victorieux jouissent alors paisiblement du spectacle de la nature bouleversée. Cependant l' or n' est pas encore trouvé, et quand ils ont commencé à percer la terre, ils ne savoient pas encore s' il y en avoit. L' espérance et l' avidité leur ont suffi pour entreprendre ces travaux, et pour affronter ces dangers.
Mais ce n' est là que le prélude d' un nouveau travail, encore plus grand et plus onéreux que le premier. Car il faut conduire l' eau des montagnes voisines et plus élevées par des détours d' un très long espace, pour la lâcher ensuite avec impétuosité sur les ruines qu' ils ont formées, et en enlever le métal précieux. Pour cela il faut pratiquer de nouveaux canaux, tantôt plus ou moins élevés selon le terrain, et c' est ici où est le grand travail. Car il faut bien placer le niveau, et prendre ses hauteurs dans tous les endroits où doit passer le torrent jusqu' à la montagne inférieure qu' on a éboulée, afin que l' eau ait assez de force pour arracher l' or par tout où elle passe : ce qui les oblige à la faire venir du plus haut qu' ils peuvent. Et pour ce qui est des inégalités qui se présentent dans son cours, ils y subviennent par des canaux artificiels qui lui conservent sa pente, et qui l' empéchent de se dissiper. Si ce sont des rochers scabreux qui s' opposent au passage, il faut les tailler, les applanir par la pointe, et y ménager des orniéres pour les planches, qui doivent resserrer et continuer le canal. Aiant amassé leurs eaux des montagnes voisines les plus élevées d' où se doit faire le jet, ils y creusent de grands réservoirs, larges de deux cens piés en quarré, et de la profondeur de dix piés. Ils y laissent ordinairement cinq ouvertures de la largeur de trois ou quatre piés en quarré, pour y recevoir l' eau de divers endroits. Après quoi, la mare étant remplie, on leve la bonde, d' où se forme un torrent si violent et si impétueux, qu' il emporte tout, jusqu' à de grosses pierres même.
Autre manoeuvre dans la plaine, et au pié de la mine. Il faut y creuser de nouveaux fossés, qui forment divers lits au torrent de degré en degré, jusqu' à ce qu' il se décharge dans la mer. Mais, de peur que l' or ne leur échape, ils y pratiquent d' espace en espace de bonnes couches d' ulex , sorte d' arbrisseau qui revient assez à notre romarin, mais plus âpre, et par conséquent plus propre à retenir cette proie comme dans ses filets. Ajoutez qu' il faut encore de bonnes planches de chaque côté du fossé pour retenir l' eau dans son lit ; et lorsqu' il se rencontre des inégalités dangereuses, suspendre ces nouveaux canaux par des chevalets, jusqu' à ce qu' enfin le torrent se perde dans les sables de l' océan, au voisinage duquel sont communément les mines.
L' or qu' on tire de la sorte au pié des montagnes, n' a pas besoin d' être purifié par le feu : car il est d' abord ce qu' il doit être. On le trouve en masses de diverses grandeurs, comme on en trouve aussi dans les mines profondes, mais non pas si communément. Pour ce qui est de ces branches de romarin sauvage qu' on y a emploiées, on les ramasse soigneusement, on les fait sécher, puis on les brûle : ensuite de quoi on en lave les cendres sur le gazon, où l' or tombe, et se recueille facilement.
Pline examine pourquoi l' or a été
préféré aux autres métaux, et il en apporte
plusieurs raisons.
C' est le seul de tous les métaux qui ne
perd rien ou presque rien par le feu, pas même dans les buchers et
dans les incendies, où les flammes font le plus de ravage. On prétend
même qu' il n' en est que meilleur lorsqu' il y a passé plusieurs
fois. C' est aussi le feu qui en fait l' épreuve : car, pour être
bon, il faut qu' il en prenne la couleur. C' est celui que les ouvriers
appellent obryzum , de l' or affiné. Ce qu' il y a d' admirable
dans cette épreuve, c' est que les charbons les plus ardens n' y
font rien : il faut un feu clair, un feu de paille pour le résoudre,
et y mettre un peu de plomb pour l' affiner.
L' or ne perd que très peu par l' usage, et beaucoup moins qu' aucun autre métal, au lieu que l' argent, le cuivre, l' étain salissent les mains, et tracent des lignes noires sur quelque matiére que ce soit ; ce qui est une preuve qu' ils souffrent du déchet, et que leur substance se détache plus aisément.
Il est le seul de tous les métaux qui ne contracte point de rouille, ni rien qui puisse en altérer la beauté, ni en diminuer le poids. C' est une chose bien digne de notre admiration, que de toutes les substances celle de l' or se conserve le mieux et en son entier sans rouille, sans crasse, dans l' eau, dans la terre, dans l' ordure, dans les sépulcres, et cela à travers tous les siécles. On voit des médailles frapées depuis plus de deux mille ans, qui paroissent comme sorties tout récemment des mains de l' ouvrier.
On remarque que l' or résiste aux impressions et aux morsures du sel et du vinaigre, qui résolvent et qui domtent toutes les autres matiéres.
Il n' y a point de métal qui s' étende mieux, ni qui se divise en un plus grand nombre de parcelles en différens sens. Une once d' or, par exemple, se partage en sept cens cinquante feuilles, et plus s' il le faut ; et chacune de ces feuilles a quatre doits en quarré de largeur. Ce que dit Pline ici est certainement bien admirable : mais nous verrons bientôt que nos ouvriers modernes ont poussé l' habileté en ce point, comme en beaucoup d' autres, infiniment plus loin que les anciens.
Enfin l' or se laisse filer et tisser comme l' on veut, de même que la laine. On peut même le travailler sans laine et sans soie, ou avec l' une et l' autre. Le premier des tarquins triompha autrefois avec une tunique de drap d' or : et Agrippine, mere de Néron, lorsque l' empereur Claude son époux donna au peuple un combat naval, y parut habillée d' une longue robe, toute de fil d' or sans aucune autre matiére. Ce que l' on raporte de l' extrême petitesse et délicatesse de l' or et de l' argent réduits en fil paroitroit incroiable, s' il n' étoit confirmé par une expérience journaliére. Je ne ferai que copier ici ce qu' on en lit dans les mémoires de l' académie des sciences.
On sait, y est-il dit, qu' un fil d' or n' est
qu' un fil d' argent doré. Il faut donc étendre par le moien
de la filiére un cilindre d' argent couvert de feuilles d' or ;
et ce cilindre devient fil, et fil toujours doré, à quelque
longueur qu' il puisse parvenir. On le prend ordinairement de quarante-cinq
marcs, et il a quinze lignes de diamétre, et à peu près
vingt-deux pouces de hauteur. Mr De Reaumur prouve que ce cilindre d' argent
de 22 pouces vient par la filiére à en avoir 13963240, ou
1163520 piés, c' est-à-dire qu' il est devenu 634692 fois
plus long qu' il n' étoit, et qu' il a près de 97 lieues
de longueur, en mettant deux mille toises à la lieue.
Ce fil se file sur de la soie ; et avant que de
l' y filer, on le rend plat de cilindre qu' il étoit : et en l'
applatissant on l' allonge ordinairement encore de (...) au moins, de sorte
que sa longueur de vingt-deux pouces se change en une de cent onze lieues.
Mais on peut aller jusqu' à allonger ce fil de (...) par l' applatissement,
au lieu de ne l' allonger que de (...), et par conséquent il aura
six vingts lieues. Cela doit paroitre une prodigieuse extension : et ce
n' est encore rien.
Le cilindre d' argent de 45 marcs, et de 22 pouces
de long, a pu n' être couvert que d' une once de feuilles d' or.
Il est vrai que la dorure sera légére, mais elle sera toujours
dorure ; et quand le cilindre passera par la filiére, et acquerra
la longueur de 120 lieues, l' or n' abandonnera jamais l' argent. On peut
voir déja par là combien l' once d' or qui envelopoit le
cilindre d' argent de 45 marcs, a dû devenir extrêmement mince
pour suivre toujours l' argent pendant un chemin d' une pareille longueur.
Mr Reaumur ajoute encore à cette considération,
que l' on voit sensiblement que l' argent est une fois plus doré
en certains endroits qu' en d' autres : et il trouve enfin par le calcul
que dans ceux où il l' est le moins, il faut que l' épaisseur
de l' or ne soit que de (...) de ligne, petitesse si énorme, qu'
elle échape autant à notre imagination, que celle des infiniment
petits de la géométrie. Cependant elle est réelle,
et produite par des instrumens méchaniques, qui ne peuvent être
si fins qu' ils ne soient encore fort grossiers. Notre esprit se perd et
s' éblouit dans la considération de tels objets : combien
plus dans celle des infiniment petits de Dieu !
Il faut savoir, dit Pline que je copie dans
toute la suite, qu' en toute sorte d' or il y a toujours de l' argent mélé,
plus ou moins : tantôt un dixiéme, tantôt un neuviéme,
ou un huitiéme. On ne compte qu' une seule mine dans la Gaule, où
l' on tire de l' or qui ne contient qu' une trentiéme partie d'
argent : et c' est ce qui en fait monter le prix au-dessus de tous les
autres. On nomme cet or, albicratense, d' Albicrat. (c' est un ancien lieu
de la Gaule près de Tarbes.) il y avoit plusieurs mines dans les
Gaules, qui depuis ont été négligées ou épuisées.
Strabon parle de quelques-unes, et entr' autres de celles de Tarbes, qui
étoient, dit-il, très fécondes en or. car, sans pousser
leurs canaux fort avant, ils trouvoient des pepins qui remplissoient le
creux de la main, et qui n' avoient pas grand besoin de passer par le feu.
Ils avoient aussi beaucoup de poudre d' or et comme des grains, qui ne
demandoient presque point d' affinage. Pour l' or, continue Pline, où
l' on trouve jusqu' à un cinquiéme d' argent, on lui donne
le nom d' electre. (on pourroit l' appeller de l' or blanc , parce qu'
il approche un peu de cette couleur, et qu' il est plus pâle.) il
paroit que les peuples les plus anciens en faisoient grand cas. Homére,
dans la description du palais de Ménélas, le dépeint
tout brillant d' or, d' électre, d' argent, et d' ivoire. L' electre
a ceci de particulier, qu' il brille beaucoup plus à la lumiére
des lampes que ni l' or ni l' argent.
La terre qui renferme l' argent, est tantôt rousse, et tantôt cendrée : c' est aux ouvriers à la discerner par la pratique. Pour l' argent même, on ne sauroit l' affiner que par le feu, avec du plomb, ou avec la mine même de l' étain. On appelle cette mine galena , et on la trouve communément dans la veine des mines d' argent. Le feu ne fait autre chose que séparer ces matiéres, dont l' une se réduit en plomb ou en étain, et l' autre en argent : mais le dernier surnâge toujours, parce qu' il est plus léger, à peu près comme l' huile sur l' eau. On trouvoit des mines d' argent dans presque toutes les provinces de l' empire romain. En effet on en tiroit d' Italie, près de Verceil ; de Sardaigne, où il y en avoit beaucoup ; des Gaules, en divers endroits ; de l' Angleterre même ; de l' Alsace, témoin Strasbourg, qui en a tiré son nom, argentoratum, et Colmar, argentaria ; de la Dalmatie et de la Pannonie, qui est maintenant la Hongrie ; et enfin de l' Espagne et du Portugal, où étoit le plus beau. Ce qu' il y a d' admirable dans les mines d' Espagne, c' est que les travaux qui y furent commencés par les ordres d' Annibal, y subsistent encore de nos jours, dit Pline, c' est-à-dire depuis plus de trois cens ans, et que les fossés y ont conservé les noms de ceux qui en firent la découverte, et qui étoient tous carthaginois. Une de ces mines entr' autres, encore aujourd' hui existante et nommée bébulo , celle-là même qui produisoit à Annibal jusqu' à trois cens livres d' argent par jour, a été poussée depuis jusqu' à quinze cens pas d' étendue, et même à travers la montagne, par les peuples accitaniens : lesquels, sans se reposer ni jour ni nuit, et se relevant seulement à la mesure chacun de leurs lampes, en ont fait écouler les eaux. Il y a aussi des veines d' argent qu' on découvre comme à fleur de terre.
Du reste, les anciens connoissoient aisément quand ils étoient parvenus au bout de la veine ; c' est lorsqu' ils trouvoient de l' alun, après quoi ils ne cherchoient plus rien : quoique depuis peu (c' est toujours Pline qui parle) on ait trouvé, après l' alun, une veine blanche de cuivre, ce qui a servi de nouvel indice aux ouvriers, pour leur marquer la fin de la veine. La découverte des métaux dont nous avons parlé jusqu' ici, est une merveille qu' on ne se lasse point d' admirer. Il n' y avoit rien de plus caché dans la nature, que l' or et l' argent. Ils étoient ensevelis dans de profondes mines, mélées de roches fort dures, et en apparence fort inutiles ; et les parties de ces précieux métaux étoient si confondues avec des corps étrangers, si imperceptibles par ce mélange, si difficiles à séparer, qu' il ne paroissoit pas possible que l' industrie de l' homme pût les déterrer, les réunir, les purifier, les convertir à ses usages.
L' homme cependant en est venu à bout ; et il a tellement perfectionné ses premiéres découvertes sur cette matiére par ses réflexions, qu' on diroit que l' or et l' argent ont été formés en masse dès le commencement, et qu' ils ont été aussi visibles que les cailloux qui sont sur la surface de la terre.
Mais l' homme, par lui-même, étoit-il capable de faire de si merveilleuses découvertes ? Cicéron dit en termes exprès, qu' en vain Dieu auroit formé dans le sein de la terre l' or, l' argent, l' airain, et le fer, s' il n' avoit enseigné aux hommes par quel moien ils pouvoient parvenir jusqu' aux veines qui cachent ces précieux métaux.
Philippe, pere d' Alexandre Le Grand, avoit des
mines d' or aux environs de Pydna ville de Macédoine, dont il tiroit
tous les ans mille talens, c' est-à-dire trois millions. Il avoit
aussi d' autres mines d' or ou d' argent dans la Thessalie et dans la Thrace.
Et il paroit que ces mines subsistoient encore à la fin du roiaume
de Macédoine : car les romains, aiant vaincu Persée, en ôtérent
l' usage et l' exercice aux macédoniens.
Les athéniens avoient des mines d' argent
et dans l' Attique à Laurium, et surtout dans la Thrace, dont ils
tiroient un grand profit. Xénophon nomme plusieurs citoiens qui
s' y enrichissoient. Hipponicus avoit six cens esclaves : Nicias, qui périt
en Sicile, en avoit mille. Les fermiers qui avoient loué leurs mines,
rendoient tous frais faits au premier chaque jour cinquante francs, sur
le pié d' une obole par jour pour chaque esclave ; et autant à
proportion au second : ce qui faisoit un revenu considérable. Xénophon,
dans le traité où il propose différens moiens d' augmenter
les revenus d' Athénes, donne pour cela d' excellens avis aux athéniens,
et les exhorte surtout à mettre en honneur le commerce, à
encourager et à soutenir ceux qui s' y appliquent soit citoiens
soit étrangers, à faire des avances pour eux en prenant des
suretés, à leur fournir des galéres pour le transport
des marchandises, et à se bien persuader qu' en cette matiére
la richesse des particuliers fait l' opulence et la force de l' etat. Il
insiste beaucoup sur ce qui regarde les mines, et desire que la republique
en fasse valoir en son nom et à son profit, sans craindre que par
là elle fasse tort aux particuliers ; parce qu' il y a de quoi enrichir
les uns et les autres, et que ce ne seront pas les mines qui manqueront
aux ouvriers, mais les ouvriers qui manqueront aux mines.
Mais ce qui provenoit des mines de l' Attique et de la Thrace n' est rien, en comparaison de ce qu' on tiroit de celles d' Espagne. C' étoient les tyriens qui d' abord en profitérent, les habitans du pays n' en connoissant pas le prix. Les carthaginois leur succédérent, et dès qu' ils eurent mis le pié dans l' Espagne, ils sentirent bien que les mines seroient pour eux une source inépuisable de richesses. Pline nous a marqué qu' une seule fournissoit à Annibal chaque jour trois cens livres pesant d' argent, ce qui monte à douze mille six cens livres, en comptant quatre-vingts quatre deniers pour une livre, comme le même Pline l' observe ailleurs. Polybe, cité par Strabon, dit que de son tems il y avoit quarante mille hommes occupés aux mines qui étoient dans le voisinage de Carthagéne, et qu' ils fournissoient chaque jour au peuple romain vingt-cinq mille dragmes, c' est-à-dire douze mille cinq cens livres.
L' histoire fait mention de particuliers qui avoient des revenus immenses, et qu' on a peine à croire. Varron parle d' un ptolémée, simple particulier, qui du temps de Pompée commandoit en Syrie, qui entretenoit à ses frais huit mille cavaliers, et avoit d' ordinaire mille conviés à sa table, et pour chacun une coupe d' or, qu' on renouvelloit même à chaque service. Ce n' est encore rien, en comparaison de Pythius de Bithynie, qui fit présent au roi Darius de ce platane et de cette vigne si vantés dans l' histoire, l' un et l' autre d' or massif : qui traita un jour splendidement toute l' armée de Xerxès, forte de dix-sept cens mille hommes, en offrant à ce prince cinq mois de paie pour tout ce monde, avec toutes les provisions nécessaires pendant ce tems-là. De quelle source pouvoient venir de si énormes trésors, sinon principalement des mines d' or et d' argent que ces particuliers possédoient ?
On est surpris quand on lit dans Plutarque tout ce qui fut transporté à Rome pour le triomphe de Paul Emile, pour celui de Luculle, et pour d' autres pareils.
Mais tout cela disparoit, quand on songe aux millions innombrables d' or et d' argent amassés par David et par Salomon, et emploiés pour la construction et pour l' ornement du temple de Jérusalem. Ces richesses immenses, dont le dénombrement effraie, étoient en partie le fruit du commerce que David avoit établi en Arabie, en Perse, et dans l' Indostan, à la faveur de deux ports qu' il avoit fait bâtir en Idumée sur l' extrémité de la Mer Rouge, et que Salomon augmenta encore considérablement, puisque dans un seul voiage sa flote lui raporta quatre cens cinquante talens d' or, qui font plus de cent trente-cinq millions. La Judée n' étoit qu' un petit pays : et cependant le revenu annuel, du tems de Salomon, sans compter beaucoup d' autres sommes, y montoit à six cens soixante et six talens d' or, ce qui fait près de deux cens millions. Il faloit que dès ce tems-là, pour fournir une quantité d' or si incroiable, on eût creusé bien des mines : et celles du Pérou et du Mexique n' étoient point encore découvertes.